Hommage
au général de Guillebon
Allocution
prononcée le 1er mars 1985 par le général
Massu aux obsèques du général
de Guillebon.
Publiée dans Espoir, n°51, Juin 1985.
Au moment où
le général Jacques de Guillebon quitte
ses vieux camarades du Tchad et de la 2e Division
Blindée, sa haute silhouette se dresse dans
leur mémoire réveillant mille souvenirs
des combats de l'épopée Leclerc, dans
laquelle il joua de bout en bout un rôle prépondérant.
Arrivant à Fort-Lamy,
en décembre 1940, pour prendre le commandement
que venait de lui confier le général
de Gaulle, celui du Territoire et du Régiment
du Tchad, le colonel Leclerc a été
heureux d'y trouver le capitaine d'artillerie coloniale
de Guillebon, âgé de 31 ans, auparavant
formé à la technique du renseignement
au cours d'un séjour en côte française
des Somalis. Déjà voisins en Picardie,
ils sont proches par ta race, l'éducation,
la foi et les sentiments.
Conseiller certainement, confident sans doute, l'ami
assurément, tel fut Guillebon auprès
de Leclerc, avec lequel il pouvait aussi, dans les
moments de détente, partager les joies simples,
mais ardentes de la chasse, étant lui-même
fervent adepte de ce sport et un remarquable fusil.
Pour les exécutants qui n'apercevaient, dans
ces vastes territoires, leur Colonel, puis leur
Général, que de temps à autre,
Jacques de Guillebon devient rapidement le personnage
clé de l'organisation militaire à
laquelle ils avaient la chance et l'honneur d'appartenir
depuis leur ralliement d'août 1940 au général
de Gaulle, ralliement que du 18 juin au 23 août,
date du débarquement de René Pleven
à Fort-Lamy, le capitaine de Guillebon, patron
des transmissions et du service de renseignements,
avait su préparer, il avait fallu, en particulier,
empêcher les impatients d'aller offrir leurs
services à nos voisins britanniques, en leur
apportant, de surcroît, des pièces
de notre pauvre armement.
Dans les étapes
les plus importantes des sept années que
nous avons eu le bonheur de vivre aux ordres du
général Leclerc, le capitaine, le
chef d'escadron, le lieutenant-colonel, le colonel
Jacques de Guillebon a pesé sur les décisions
et les événements, de toute sa brillante
intelligence, de son esprit de logique et de déduction
développé à l'École
polytechnique, de sa profonde conviction de Français
Libre, de sa grande volonté, de sa force
de caractère et de sa naturelle bravoure.Et
cela depuis Koufra jusqu'à Saigon et Hanoi,
en passant par le Fezzan, la Tripolitaine, la Tunisie,
le Maroc, l'Angleterre, le débarquement de
Normandie, la libération d'Alençon,
de Paris, de Strasbourg, la ruée sur Berchtesgaden,
dans les fonctions successives d'adjoint de combat
à Koufra, de chef d'Etat-major du Commandement
militaire du Tchad, de chef d'Etat-major de la Force
" L ", de sous-chef d'Etat-major de la
2e DB, de commandant de Groupement tactique, de
chef d'Etat-major du CEFEO, un magnifique parcours
où l'officier d'Etat-major, le guerrier de
60 combats et la politique sont également
à leur aise.
Envoyé par le colonel Leclerc au Caire après
la prise de Koufra pour négocier avec les
Britanniques la garde et le ravitaillement du poste,
il avait reçu du général de
Gaulle une inoubliable leçon de politique
dont il avait résumé l'idée
directrice :
" A la France Libre, on ne se battait pas
pour se battre, pour ta gloire ou l'honneur, même
pas pour porter des coups à l'ennemi, mais
directement ou indirectement pour reconstruire la
grandeur et l'indépendance de ta France
".
Dix ans après
la mort accidentelle du général Leclerc
en novembre 1947, le Conseil de l'Ordre de la Libération
ouvrit ses rangs au général de Guillebon
que le général de Gaulle avait nommé
" Compagnon " dès le 12 juillet
1941. Nul autre " Compagnon " de la 2e
Division Blindée ne pouvait mieux nous y
représenter.
A la suite d'un séjour de trois ans en Suisse,
comme attaché militaire, le colonel de Guillebon
repart en Afrique en 1952 commander les Territoires
du Sud-Tunisien et la subdivision de Gabès.
Il y fait régner l'ordre et accueille en
adversaires respectés les personnalités
tunisiennes que la République envoie en résidence
surveillée. Des amitiés se nouent
alors, que les années renforceront. Je l'y
retrouve avec plaisir à la fin de 1954 et
recueille l'impression qu'il y est heureux et rayonne
utilement. Il y est promu Général
de Brigade en mai 1955, à l'âge de
45 ans. Il retournera plus tard dans ce pays ami,
où il sera toujours accueilli avec chaleur
et amitié.
En 1957, il prend le
commandement de l'École polytechnique : heureux
furent ses élèves !
Promu Général de Division en 1959,
il est nommé en 1961 au commandement de la
Ve Région Militaire à Toulouse, région
sensible à l'époque difficile de la
fin de la guerre d'Algérie et où son
souvenir demeure vivant, ainsi que vient de témoigner
un message de Louis Bazergue, ancien Maire de Toulouse.
Il reçoit en 1962 sa 4e étoile.
En 1966, le général
de Gaulle lui confie les importantes fonctions de
directeur de l'Institut des Hautes Études
de Défense Nationale, de l'Enseignement Militaire
Supérieur et du Centre des Hautes Études
Militaires, auxquelles le prédestinait son
expérience, sa vaste culture et sa parfaite
connaissance des hommes. J'ai eu des échos
de l'admiration qu'il a inspirée à
trois promotions successives d'auditeurs, les 18e,
19e et 20e sessions, séduits par son allure
de grand seigneur, son urbanité, son impeccable
courtoisie.
Pour avoir été dans " le secret
des dieux " au cours de notre passé
commun, il savait bien des choses ignorées,
ou mal connues de ses camarades éloignés
du " soleil ".
C'était un régal pour ceux-ci de confronter
des idées, des interrogations à ses
réponses toujours précises, souvent
nuancées d'un humour qui lui était
propre.
Quand il fallait remettre publiquement certaines
choses au point, il livrait des articles passionnants
et pétillants, notamment au journal "
Caravane ", organe de liaison des Anciens de
la 2e Division Blindée. Souvent sollicité
pour son talent d'orateur et la qualité de
ses témoignages, on l'a entendu pour la dernière
fois à l'Hôtel de Ville de Paris le
25 août 1984 dans un merveilleux discours
et avec quel souffle !
Ce soldat sans peur,
réservé et modeste, s'est vu décerner
13 citations, dont 8 à l'ordre de l'Armée.Grand
officier de la Légion d'honneur depuis 1957,
il a été fait Grand-Croix de l'Ordre
National du Mérite en 1969.La qualité
de frères d'armes qui nous unissait me vaut
aujourd'hui le triste honneur de lui adresser l'adieu
solennel de l'Armée française, celui
des Compagnons de la Libération, celui de
ses camarades de la 2e Division Blindée,
en particulier de son groupement tactique, le GTV,
qu'il a brillamment commandé, enfin, le mien,
très chaleureux et très ému.
Je n'oublie pas qu'après
nos percées successives, lui à Badonviller,
de la Vorvogesenstellung, moi avec mon sous-groupement
du GTL de la Vogenenstellung sur la Sarre, le général
Leclerc m'avait mis à ses ordres pour pousser
sur Dabo et l'Alsace, afin de tenir à Strasbourg
le à fameux serment de Koufra, prononcé
jour pour jour voilà 44 ans.
Nous nous inclinons respectueusement devant la douleur
de Mme de Guillebon et de ses enfants. Le souvenir
de celui qu'ils ont perdu ne nous quittera pas.
Biographie
© Fondation
Maréchal Leclerc de Hauteclocque