Article
écrit par Roger Pons, sous-lieutenant d'artillerie
de marine à la section d'artillerie n°1
à Faya-Largeau et Jean Lucchesi, Compagnon
de la Libération, sous-lieutenant à
la 1re compagnie de découverte et combat.
Les Français libres, qui ont répondu
à l'Appel lancé de Londres le 18 juin
1940 par le général de Gaulle, ont
donné à la France quelques très
grands capitaines. Le général Louis
DIO, qui vient de nous quitter, en fut un des plus
prestigieux.
A 18 ans, à sa sortie de Saint-Cyr, II choisit
l'armée coloniale. En 1939, capitaine commandant
le groupe nomade du Tibesti, il est muté
à Douala, au Cameroun, pour mettre sur pied
une compagnie destinée à être
envoyée en renfort en métropole.
Survient alors l'armistice
; comme la grande majorité de l'armée
coloniale et de la population, tant européenne
qu'africaine, de l'Afrique-Equatoriale française,
il ne comprend pas que l'immense empire français,
disposant d'une flotte puissante, dépose
les armes à la demande d'un vieillard sénile,
fût-il maréchal de France.
Aussi, le 26 août 1940, quand en pleine nuit
le jeune colonel Leclerc débarque au môle
de Douala, à la tête d'un détachement
de 24 Européens, transportés en pirogues
depuis le Cameroun britannique voisin, le capitaine
Dio se rend à son appel.
Il apprend ainsi que le commandant Leclerc a quitté
Londres le 6 août, vingt jours auparavant,
avec mission du général de Gaulle
d'amener tout ou partie des colonies françaises
d'AEF à se joindre à lui pour refuser
l'exécution de l'armistice et continuer la
guerre contre les Allemands et les Italiens.
Le capitaine Dio se place aussitôt aux ordres
du colonel Leclerc, lui apportant ainsi la première
unité française libre du territoire
africain. Son comportement est capital pour la suite
des événements car en quelques jours
grâce à lui, sans effusion de sang,
le Cameroun dans son ensemble le rallie.
Dans le même temps, toutes les colonies de
l'AEF se rallient au général de Gaulle,
à l'exemple du Cameroun, sauf, hélas,
le Gabon qui nécessitera pour l'obtenir une
intervention militaire conduite énergiquement
par le colonel Lecterc, au cours de laquelle le
capitaine Dio apportera, une fois encore, son très
courageux et efficace concours. Les pertes de part
et d'autre furent heureusement minimes.
De Gaulle possède
désormais un bloc africain solide au centre
de l'Afrique, présentant un intérêt
stratégique considérable pour les
Alliés et assurant la représentabilité
de la France libre au plan international, face à
Vichy.
Aussitôt le général de Gaulle
réorganise son Afrique française libre.
Il nomme le colonel Leclerc commandant militaire
du Tchad le 2 décembre 1940. Celui-ci fait
venir du Cameroun le capitaine Dio, promu commandant,
dont il a apprécié la solidité
aussi bien à son arrivée à
Douala que pendant la campagne du Gabon, et qui
en sa qualité de commandant du groupe nomade
du Tibesti a sillonné en tous sens pendant
plusieurs années le nord du Tchad.
Le colonel Leclerc, en effet, contre l'avis de tous
les officiers coloniaux qui l'entourent, décide
de s'emparer de Koufra, citadelle solidement tenue
par les Italiens et protégée par un
immense désert hostile.
Pour l'arracher aux Arabes senoussistes en 1931,
les ltaliens avaient dû mettre en ligne 7
000 chameaux, 300 camions, 3 000 hommes de troupe
et 20 avions.
Pour mener à bien sa conquête, le colonel
Leclerc ne dispose que de 99 véhicules, montés
par 100 Européens et 250 Africains, ainsi
que d'un canon de 75 de montagne.
La colonne française quitte Faya-Largeau,
situé à 800 km de l'objectif, le 25
janvier 1941. Le commandant Dio avec 150 fantassins
et le canon de 75 de Roger Ceccaldi reçoit
la mission capitale de prendre le fort, tandis que
le colonel Leclerc avec 2 pelotons motorisés
légers attaque les forces mobiles italiennes,
la fameuse Sahariana, et lui inflige une humiliante
défaite.
Dès lors, le siège du fort se poursuit
avec l'ensemble des moyens. Au cours d'une patrouille
de nuit, comme il s'en succède chaque soir
pour harceler l'ennemi, le capitaine Dio, qui a
voulu lui-même y participer, est très
grièvement blessé et évacué.
Le ler mars 1941, le colonel Leclerc reçoit
la reddition de la place de Koufra et déclare
à ses soldats galvanisés par cette
victoire qu'ils ne déposeront les armes que
lorsque les trois couleurs françaises flotteront
sur la cathédrale de Strasbourg.
Après une année d'organisation et
de préparation intenses consacrée
à se doter des moyens indispensables pour
mener des opérations offensives au Fezzan,
le colonel Leclerc lance en février et mars
1942 six groupements tactiques motorisés,
dans la première campagne du Fezzan.
Le commandant Dio y participe à la tête
d'un groupement comportant un groupe nomade motorisé
(15 voitures), des mitrailleuses de DCA et un obusier
de 115 mm disposant d'une soixantaine d'obus. Sa
mission est de s'emparer, avec ces moyens dérisoires,
du poste de Tedjéré solidement tenu
et situé au cur du Fezzan. Le 1er mars,
le commandant Dio est à pied d'uvre
; un combat violent s'engage - une balle traverse
le vieux képi du commandant Dio. Six tirailleurs
sont blessés et le 2 mars le fort est pris.
Le colonel Leclerc conclut les opérations
des six groupements de combat qui se sont déployés
sur des itinéraires de 600 et 800 km, en
ces termes : " En quelques semaines, quatre
forts fortifiés ont été pris,
plus de cinquante prisonniers faits, plusieurs dépôts
importants d'essence et de munitions incendiés,
de nombreuses armes automatiques emportées,
ainsi que trois avions détruits. Nous ne
sommes pas encore mûrs pour l'esclavage. Vive
fa France ! "
De retour à
Faya-Largeau, la grande base de départ et
de préparation des campagnes dont il assure
le commandement, le commandant Dio doit d'abord
en assurer la protection et la défense. Nous
sommes au printemps 1942, à la veille de
Bir Hakeim, les choses ne vont pas bien pour les
Britanniques, durement secoués et refoulés
par l'Afrika Korps de Rommel aidé des Italiens.
Le nord du Tchad n'est pas à l'abri de raids
ennemis.
Mais cela n'empêche pas de se préparer
aussi à la reprise de l'offensive, et c'est
alors, durant toute l'année 1942, une succession
d'exercices et de manuvres qui entretiennent
le moral des troupes dans cette oasis isolée
où les conditions de vie sont très
dures mais exaltantes. Les renforts affluent du
sud, si bien qu'à la fin de l'automne, la
garnison a triplé par rapport à ce
qu'elle était l'année précédente
au moment de Koufra. De même pour les véhicules,
l'armement, les bâtiments et toute la logistique.
La deuxième campagne du Fezzan qui aboutira
à sa conquête débute en décembre
1942. Le colonel Dio (il vient d'être promu)
commande le groupement d'action principale comprenant
le groupe nomade du Borkou, motorisé, deux
pelotons de découverte et combat, la 12e
compagnie portée, 2 canons de 75 et un train
de combat de 110 véhicules. Trois autres
groupements moins étoffés participent
à l'opération sur des itinéraires
différents.
Le 23 décembre, le colonel Dio occupe Vigh-el-Kebir
en territoire fezzanais, mais les occupants s'échappent
et donnent l'alerte. Le 26 décembre, il canonne
Gatroun et le dépasse. Le 28 décembre,
il livre combat contre la Sahariana, qui décroche
et se replie. Les 29, 30 et 31 décembre,
il met le siège devant les solides défenses
d'Oum-EI-Araneb, protégées par une
aviation italienne très active. Le 4 janvier
1943, les Italiens capitulent. Bilan : 200 prisonniers,
dont dix officiers, dix canons, des mortiers et
mitrailleuses.
Dès lors, la conquête s'accélère
: Brack, Mourzouk, capitale religieuse, Sebba, principal
centre militaire, et Hon. Le 9 janvier, le Fezzan
est occupé dans son entier.
La progression se poursuit
en Tripolitaine. Le 22 janvier 1943, après
un violent combat, le colonel Dio entre à
Mizda. Bilan : 7 canons, 18 mitrailleuses, des munitions,
des vivres et surtout 40 000 litres d'essence. Le
23 janvier, à Garian, il effectue une liaison
avec les Britanniques. Le 24 janvier, il atteint
Tripoli quelques heures après le maréchal
Montgomery.
La dernière étape de l'épopée
africaine du général Leclerc s'achève
en Tunisie. Le 22 février, le colonel Dio
s'installe en défensive à Ksar-Rhilane,
au pied du Grand Erg oriental. Il y est rejoint
par le général Leclerc, qui prend
le commandement de l'ensemble de ses troupes, en
flanc gauche de la VIIIe Armée du maréchal
Montgomery. Le 10 mars, une brigade blindée
renforcée allemande déferle sur nos
positions ; le général Leclerc la
contient et, grâce à l'appui de la
RAF, la repousse avec des pertes sérieuses
pour les attaquants. Le soir, Leclerc télégraphie
à Montgomery : " L'ennemi est en retraite
vers le nord, il a perdu soixante voitures et dix
canons. Il n'a jamais pénétré
notre position. "
Au lendemain de cette victoire, l'armée Leclerc,
dont le groupement Dio est le fer de lance, reprend
sa progression, occupe Gabès, puis Kairouan
et livre ses derniers combats au Djebel Garci.
Le 20 mai 1943, au défilé de la victoire
de Tunis, les Britanniques témoignent leur
estime à Leclerc en plaçant en tête
du défilé un détachement de
la " Force L " venu du Tchad.
Ainsi s'achèvent
les années sombres de 1940-41-42-43, quatre
longues et périlleuses années, au
cours desquelles le colonel Dio, sous l'égide
du général Leclerc et du général
de Gaulle, nous a conduits, nous ses soldats, de
victoire en victoire, à travers des déserts
hostiles, face à un ennemi toujours supérieur
à nous, tant par ses effectifs que par ses
moyens matériels de combat.
La jeunesse (36 ans), le caractère, l'audace,
le courage, l'esprit de décision, le sens
du combat animaient ce chef à la stature
imposante et athlétique, au visage ouvert
et souriant qui, par ses exploits précités,
nous galvanisait. Nous voulions être dignes
de lui et son rayonnement se propageait des Européens
aux tirailleurs africains.
La suite de l'extraordinaire
carrière du général Louis Dio
l'amènera à commander le régiment
de marche du Tchad durant la campagne de Normandie,
la libération de Paris et de Strasbourg,
jusqu'à Berchtesgaden, avant de succéder
à Leclerc à la tête de la 2e
division blindée.
L'après-guerre le verra assumer plusieurs
commandements outre-mer, notamment en Tunisie, au
Cambodge et en Afrique équatoriale, avant
de finir à Paris comme inspecteur général
de l'Armée de Terre. Dans les années
1960, son grand prestige dans l'Armée lui
vaut de remplir des missions de confiance outre-mer
pour le compte de l'état-major des Armées,
où on le considère comme la conscience
de la " Coloniale ", sa seconde famille
à laquelle ce moine soldat était profondément
attaché.
Parfois bourru, ce
chef exceptionnel, cet officier modeste passionné
par son métier, ce chrétien si pieux,
ce Breton de Vannes, dissimulait mal son grand souci
des hommes et sa profonde bonté. Durant toute
l'aventure africaine de Leclerc, particulièrement
à ses débuts, le commandant Dio fut
fa caution du général après
des " coloniaux ", a priori réservés
à l'égard d'un officier " métro
", venu de surcroît de la cavalerie.
Entre les deux chefs, jamais il n'y eut la moindre
ombre, et c'est tout naturellement que Leclerc a
proposé Dio, le chef incontesté de
sa vieille garde, qui allait être le plus
jeune général de l'armée française
à 37 ans, pour lui succéder au commandement
de la prestigieuse 2e division blindée en
juin 1945.
Parvenu au terme de sa brillante carrière
militaire, grand-croix de la Légion d'honneur
et Compagnon de la Libération, le général
Dio se retira à Toulon, où, fidèle
à son image, cet ancien chevalier du désert,
ce pur entre les purs, continua de se dévouer
aux membres de sa famille dans la discrétion
et la simplicité, ces vertus auxquelles il
tenait tant.
Avec lui, l'un des tout premiers et proches compagnons
d'armes de Leclerc, vient de disparaître l'une
des grande et nobles figures des troupes de marine
et des Forces françaises libres.