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Leclerc et ses hommes, destins croisés
du 18 septembre 2001 au 20 janvier 2001
Leclerc avec des hommes de la 1ère Compagnie du 501e Régiment de chars de combat, août 1944  ©ecpad
" Les gens que j’avais l’honneur de commander avaient commencé cinq ans avant au Tchad. Nous n’étions alors que quelques-uns. Et puis, notre effectif s’est toujours augmenté. Notre but, notre idéal, c’était de battre l’ennemi et de sauver le pays. Une entente parfaite s’était établie entre nous, de l’officier au deuxième classe, si bien que les ordres que j’avais à leur donner n’étaient pas des obligations mais des indications. Voilà la raison pour laquelle nous avons remporté ces succès. "
Leclerc, Badonviller, 24 novembre 1946.
Fin juin 1940, à 38 ans, le capitaine Philippe de Hauteclocque marié, père de six enfants, officier promis à une brillante carrière, décide de poursuivre le combat après avoir entendu un des appels du général de Gaulle. Sa décision, écrit-il à sa femme, est dictée par le refus de renier " les principes d’honneur et de patriotisme qui m’ont soutenu pendant vingt ans. Si tu ne reçois plus de nouvelles de moi, du moins bien rares et très indirectes, ce sera bon signe que j’ai réussi. Plus que jamais, je me sens soutenu par tes prières et je t’assure qu’il faut avoir le cœur bien accroché pour supporter ces épreuves. N’aie jamais aucune inquiétude sur moi et je te retrouverai quand on sera sur le chemin de la victoire. Continue à développer le caractère de nos petits : tout est là. "
Après deux évasions, un périple à bicyclette dans une France partiellement occupée, il retrouve sa femme avec ses enfants sur les routes de l’exode près de Libourne. Il l’informe de sa décision ; elle l’encourage dans cette voie. Le capitaine de Hauteclocque devient Leclerc.
Il gagne rapidement Londres via l’Espagne et le Portugal. Le 25 juillet 1940, il se présente au général de Gaulle et se met au service de la cause du chef de la France libre entrant ainsi dans l’aventure. De Gaulle nourrira dès lors une prédilection particulière à son endroit. Comme lui, Leclerc est convaincu que la guerre n’est pas finie et que l’armistice est une capitulation.
Ces Français avec des Européens et des Africains
Dans une émission radiophonique du 4 août, il s’explique : " Il y a quelques jours, caché dans un village de la France envahie, j’ai pu entendre, grâce au patriotisme d’un Français, la radio française de Londres. J’ai vivement ressenti, à ce moment-là, l’impression de réconfort donnée par les seules voix françaises encore libres. "
Le 6 août 1940, Leclerc est envoyé, avec Pleven et Boislambert, par de Gaulle pour rallier l’Afrique-équatoriale française.
Parti du Nigéria, Leclerc, avec une vingtaine d’hommes, prend Douala dans la nuit du 25 au 26 août. En quelques jours, le Cameroun est rallié ainsi que le Tchad et le Congo sous l’égide de Félix Éboué et de Larminat.
Le 28 août, le ralliement de l’Afrique-équatoriale au général de Gaulle est acquis, sauf celui du Gabon que Leclerc juge indispensable d’obtenir. De Gaulle, à Douala le 8 octobre, donne son accord à l’opération avec l’aide des Forces françaises libres (FFL), repliées après l’échec de l’expédition de Dakar (23-25 septembre). Avec ses hommes, Leclerc débarque près de Libreville le 8 novembre et obtient le ralliement du Gabon le 10 novembre.
>le colonel Leclerc au Cameroun, automne 1940 © Mémorial Leclerc - Musée Jean Moulin (Mairie de Paris)
Les hommes qui forment le noyau initial de la colonne Leclerc ont tous dit « non » à la défaite. Les Français d’Afrique, civils comme Raymond Dronne et Philippe Peschaud, militaires de carrière tels Crépin, Dio, Guillebon, Massu, Quilichini, Vézinet ou le médecin-capitaine Chauliac veulent continuer à se battre. D’autres rejoindront l’Afrique depuis Londres (Buis, Galley, Guéna,...) ou des colonies britanniques et de l’Empire français (Cholley, Lucchesi, Rémy, Roumiantzoff,...).
Ces Français avec des Européens et des Saras du Tchad forment le gros du régiment de Tirailleurs sénégalais du Tchad. Ces hommes sont convaincus que la guerre n’est pas finie. Tous ont scellé leur destin à celui de Leclerc pour combattre jusqu’à la libération totale du territoire français. L’épopée commence. Les arrières assurés, la guerre vers la Libye passe au premier plan. En décembre, Leclerc est nommé commandant militaire du Tchad. Le territoire est la clé de voûte de l’Afrique française libre et un relais pour les liaisons aériennes des Anglais au sein de leurs colonies. Le régiment de Tirailleurs sénégalais du Tchad comprend quatre groupements correspondant à un territoire, une compagnie d’infanterie et un groupe nomade méhariste. Les moyens sont peu importants : par exemple, Leclerc dispose de 6 appareils désuets pour faire le tour d’un territoire trois fois plus grand que la France. C’est l’armée des pauvres. Les débuts sont modestes et difficiles à cause du climat qui exige de ne combattre que pendant l’hiver, du terrain, de l’absence de pistes et de l’ennemi italien mieux équipé. Arrivé à Fort-Lamy le 2 décembre, Leclerc évoque l’attaque sur Koufra, oasis italienne perdue dans les sables du sud-est de la Libye et distante de près de 2000 kilomètres.
Avec trois cents hommes et un seul canon
Au préalable, il envoie quelques-uns de ses hommes se joindre à un raid britannique au nord du Tibesti contre des postes du Fezzan. Un accrochage contre les Italiens à Mourzouk le 11 janvier 1941, au cours duquel le colonel d’Ornano est tué, marque la rentrée de forces françaises dans la guerre.
Malgré ce premier échec, l’objectif sur Koufra est maintenu. Les 18 et 19 février, avec 300 hommes et un seul canon, Leclerc livre un combat décisif contre la Compagnie saharienne mobile italienne. Il met le siège devant la citadelle. Le 1er mars 1941, la garnison ennemie se rend, contre toute attente, grâce à la témérité, l’imagination, le talent des hommes et du chef meneur d’hommes, doté d’un sens aigu de la manœuvre. Premier succès d’armes, c’est aussi la première victoire des FFL relatée dans Le Courrier de l’air, distribué en France par la Royal Air Force. Le lendemain, il fait jurer à ses troupes, sans doute pour galvaniser les énergies " de ne déposer les armes que lorsque nos belles couleurs flotteront sur la cathédrale de Strasbourg. "
>Leclerc et ses hommes après la prise de Koufra, mars 1941. (d.r.)
Près d’un an s’écoule occupé à préparer l’opération qui permettra de faire la jonction avec les forces britanniques au bord de la Méditerranée : il faut construire des pistes, implanter des dépôts et recueillir des renseignements sur l’ennemi. La contre-attaque des forces allemandes de Rommel vers Le Caire oblige Leclerc à modifier ses plans, à la fois pour maintenir le moral de ses hommes et pour aider les Anglais. Peu avant, il consent enfin à porter les étoiles de général que de Gaulle lui donne le 10 août 1941. Le récit de l’un de ses hommes, Guillebon, illustre bien le manque de moyens : " J’apportais au colonel quatre étoiles d’argent prises sur les Italiens à Ouaou-el-Kébir pour s’en faire des pattes d’épaulette. "
>Leclerc avec ses étoiles de général, juin 1942 © Mémorial Leclerc - Musée Jean Moulin (Mairie de Paris)
Il se borne à lancer des attaques contre les postes italiens du Fezzan avec un équipement désuet. La situation militaire des Britanniques se rétablit en octobre 1942 et Leclerc peut à nouveau envisager la jonction avec eux au nord de la Libye. Les moyens s’étoffent un peu en hommes venus de tous les horizons. La colonne Leclerc qui compte environ 3 000 hommes avec 300 véhicules appuyés par 16 avions, attaque au nord en décembre 1942 tous les postes italiens qui sont pris. Les soldats de Leclerc rencontrent le 24 janvier 1943 ceux de la 8e armée de Montgomery. Le chef de guerre anglais renforce la colonne Leclerc, qui prend le nom de Force L, de quelques unités françaises ayant combattu en Égypte avec les Anglais et d’officiers grecs. La première bataille face aux Allemands a lieu à Ksar-Rhilane dans le Sud tunisien où la Force L est installée à l’ouest de la 8e armée qui s’apprête à enlever la ligne Mareth ; elle arrête l’avancée de la 90e Panzer Grenadier Division le 10 mars. Montgomery, qui a suivi le combat en craignant de ne jamais revoir Leclerc et ses hommes, télégraphie le lendemain « Well done » (Bien joué). La Force L participe à la libération de Gabès puis au défilé de la victoire à Tunis le 20 mai.
En Tunisie, des soldats de l’armée d’Afrique s’engagent dans l’unité de Leclerc. La campagne de Tunisie a souligné les difficultés à surmonter en vue de la réorganisation d’une armée française au combat entre l’armée d’Afrique, restée fidèle jusqu’en novembre 1942 au maréchal Pétain, et les FFL qui sont éloignées en Libye le temps que les généraux de Gaulle et Giraud s’entendent.
À Sabratha près de Tripoli, la Force L devient la 2e division française libre dans les forces françaises combattantes sous la houlette de Larminat, puis le 24 août 1943, la 2e division blindée (2e DB) équipée avec l’aide des Américains, conformément à l’accord conclu avec Giraud lors de la conférence d’Anfa (13 janvier-24 février). Pour atteindre les effectifs d’une division, près de 14 000 hommes, il lui faut rassembler dans une même unité des hommes que beaucoup d’événements ont profondément divisés.
La création de la 2e DB s’effectue au Maroc, près de Rabat à Témara pour bénéficier de la proximité du port de Casablanca, où sont livrés les matériels américains, et recevoir l’instruction indispensable à la maîtrise de ces nouveaux engins.
>insigne de la 2e DB (d.r.)
" La constitution de la 2e DB fut ma plus belle victoire "
Au noyau initial du Cameroun et du Tchad se joignent des Spahis d’Égypte (Rémy, Roumiantzoff,...), des compagnies de chars reconstituées en Angleterre, des régiments entiers d’Afrique du Nord, une unité de fusiliers marins, des volontaires venus seuls ou groupés de nombreux points du monde avec l’intense désir de se battre, des évadés de France par l’Espagne et réchappés des prisons espagnoles, des Corses, des prisonniers de guerre évadés par la Russie (Branet, de Boissieu, Billotte,...), des Alsaciens-Lorrains, des éléments du corps franc d’Afrique, d’anciens républicains espagnols, une compagnie du RMT, la 9e dite la nueve comporte une majorité d’Espagnols, des quakers objecteurs de conscience qui intègrent le bataillon médical, des femmes arrivant des États-Unis avec leurs ambulances, ce sont les Rochambelles en mémoire de la participation du général français Rochambeau lors de la guerre d’Indépen­dance américaine et des Marinettes, conductrices appartenant à la marine française.
Au moment de son transfert en Angleterre, la 2e division blindée compte sur plus de 14.000 hommes quelque 3000 évadés de France par l’Espagne, 3 600 soldats autochtones d’Afrique noire (Mademba Sy), d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, qui illustrent l’importance de la contribution de l’Empire à la France.
" La constitution de la 2e DB fut ma plus belle victoire " dira plus tard Leclerc. L’un de ses hommes et biographe, le général Duplay, dira : " Pour rassembler ces volontés impatientes, il en fallait une plus forte : ce fut celle de Leclerc. Autant par sa poigne que par la séduction de son ardeur et de sa compétence, il fit, en moins d’un an, de la 2e division blindée une force de près de 20 000 hommes disciplinés, rompus au maniement de leurs armes, s’estimant les-uns les autres et prêts aux plus durs combats. " Cette unité composée d’hommes et de femmes d’origines ethniques, religieuses et politiques diverses va trouver sa cohésion au combat.
Fin décembre 1943, de Gaulle évoque avec Eisenhower la participation française pour les opérations de débarquement et pour la libération de la capitale. Il fait parvenir à Leclerc par le capitaine de Boissieu, une lettre lui confiant la charge de gouverneur militaire de Paris par intérim et désignant son unité pour libérer la Ville. C’est pour cette raison que la 2e DB est transférée en Angleterre dans le Yorkshire pour parfaire son entraînement fin avril 1944.
Le général Leclerc a précédé ses hommes, installant son poste de commandement à Dalton Hall (Yorkshire) à partir du 15 mai. Lors d’une prise d’armes le 3 juillet 1944, le général Koenig remet leurs drapeaux aux unités, Leclerc fait distribuer à chacun l’insigne de la 2e DB : une France sur fond bleu surmontée d’une croix de Lorraine stylisée en relief qui exprime la foi, la vocation et la cohésion de cette division. Mise à la disposition de la 3e armée du général Patton, la 2e DB traverse la Manche dans la nuit du 31 juillet au 1er août et débarque à Utah Beach (Saint-Martin-de-Varreville). En approchant de la plage, le général Leclerc murmure à son aide de camp d’une voix changée : " ça fait une drôle d’impression ", Girard lui répond : " ça fait rudement plaisir ".
>le 1er août 1944, lors du débarquement sur le sol de Normandie  © ecpad
Il est accueilli par le général Walker, commandant le 20e corps d’armée américain. Quelques jours avant en Angleterre, Leclerc s’est adressé aux Français dans une courte allocution : " Enfin voici l’heure tant attendue. [...] Nous voulons d’abord battre le boche, l’ennemi maudit. Nous voulons ensuite retrouver de bons Français qui mènent depuis quatre ans dans le pays la lutte que nous menions dehors. Salut à ceux qui ont déjà repris les armes. Oui, nous constituons bien la même armée, l’armée de la Libération. "
" Salut à ceux qui ont déjà repris les armes "
Pendant les premiers jours d’incertitude concernant l’emploi de sa division, Leclerc s’est employé à remonter le moral de ses hommes, peu élevé à cause de l’inaction. La 2e DB est lancée dans le mouvement allié qui doit couper la retraite des forces allemandes venant de Bretagne et les empêcher de gagner la basse Seine. Par Fougères et Château-Gontier la 2e DB atteint Le Mans, le 9 août et attaque la 9e Panzer en direction d’Alençon.
C’est le premier combat de chars, la ville est atteinte le 12. La 2e DB pousse vers Argentan, détruisant ce qui reste de l’unité ennemie. À partir du 13 août, la division regroupée dans cette zone attend les ordres tandis que les divisions américaines amorcent le contournement de Paris par le nord-ouest et par le sud. Leclerc et ses hommes sont impatients de libérer Paris qui s’est insurgé le 18 août au soir. Leclerc envoie de sa propre initiative le 21 août en direction de Versailles un élément aux ordres du commandant de Guillebon pour tester les défenses allemandes. Face aux hésitations du commandement allié, l’insistance de Leclerc, l’intervention du général de Gaulle, l’envoi de la mission Cocteau-Gallois par Rol-Tanguy, commandant les Forces françaises de l’intérieur d’Île-de-France, convainquent Eisenhower de donner l’ordre à la 2e DB de foncer sur Paris avec l’appui de la 4e division américaine. Leclerc peut enfin remplir la mission politique que lui a confiée le général de Gaulle en décembre 1943. De Gaulle qui l’a rejoint lui dit : " Vous avez de la chance! ".
Le 24 août la division Leclerc, organisée en deux colonnes, se dirige vers Paris : à l’ouest, le groupement Langlade (par la vallée de Chevreuse, Jouy-en-Josas, Clamart), au sud le groupement Billotte (par la route d’Orléans, Longjumeau, Massy, Wissous, Fresnes) rencontrent une forte défense allemande. Le soir, à la Croix-de-Berny, Leclerc, sentant qu’une occasion se présente, ordonne au capitaine Dronne avec 3 chars et 3 sections sur half-tracks de prévenir les résistants de l’arrivée de la 2e DB le lendemain.
À 21 heures 22, Dronne arrive place de l’Hôtel-de-Ville, les cloches de la capitale sonnent à toute volée. Le 25, la 2e DB entre dans la ville, fait prisonnier le général von Choltitz, commandant du Gross Paris, qui signe la convention de reddition que lui tend Leclerc.
>le 25 août 1944, à Paris (d.r.)
À la gare Montparnasse où il a installé son poste de commandement, des proches l’entendent murmurer après la signature de la vingtaine d’ordres de cessez-le-feu par le commandant allemand : " Enfin, ça y est ! ". Il est un peu moins de 17 heures lorsqu’il accueille avec le colonel Rol-Tanguy, chef des FFI, le général de Gaulle.
Il n’y a pas eu de vacance du pouvoir. Le 26, la 2e DB regroupée à l’Étoile assiste à la descente des Champs-Élysées par le général de Gaulle. Leclerc et sa division participent aux honneurs et assurent la sécurité des autorités. Ils effacent ainsi l’humiliation de juin 1940.
Cependant une partie des forces s’est portée au nord de Paris où l’ennemi allemand lance une contre-attaque. Jusqu’au 30 août, la 2e DB livre de durs combats dans la zone du Bourget entraînant de lourdes pertes. Au total, elles sont de 130 tués pour la libération de Paris et de sa banlieue et la 2e DB a fait 14 800 prisonniers allemands et 3 200 tués. La pause d’une dizaine de jours permet de remettre en état les 4 000 véhicules, de prendre du repos et d’aller voir leur famille pour les hommes, enfin de compléter les effectifs par l’incorporation de FFI (près de 1 500 hommes) dont les deux fils aînés du général Leclerc, Henri et Hubert.
" Enfin, ça y est ! "
Retrouvant sa place au sein du dispositif américain, Leclerc reçoit Épinal pour objectif tout en assurant la protection du flanc sud de l’armée américaine d’Auxerre à Chaumont. Un détachement de la division effectue la liaison le 12 septembre à Nod-sur-Seine avec un élément de la 1re DMI (ex 1re DFL) du général Brosset.
Puis Leclerc pousse jusqu’à Vittel, Contrexéville et Dompaire où le sous-groupement de Massu affronte la 112e Panzerbrigade le 13 septembre et provoque le repli de l’unité allemande. Plus au nord, La Horie, camarade de promotion de Leclerc, franchit la Moselle à Châtel mais est arrêté par les deux lignes de défense allemandes au pied des Vosges. Un répit étant nécessaire pour que les forces alliées se regroupent, la 2e division en profite pour prendre Baccarat le 30 octobre avec l’aide de FFI et d’une résistante, Marcelle Cuny. Leclerc sable le champagne à la Cristallerie dans un service de verres commandé par Göring. Puis c’est la poussée vers les Vosges.
Trois ans et huit mois après, le serment de Koufra est tenu
Les combats sont violents et les ambulances des Rochambelles évacuent les blessés sous un feu nourri. La Horie s’empare de Badonviller le 17 novembre et trouve la mort peu après. Leclerc prépare alors soigneusement la prise de Strasbourg et le franchissement des Vosges de part et d’autre de la trouée de Saverne pour atteindre la plaine d’Alsace. Sauf au centre où l’ennemi est le plus fort, les résistances allemandes sont bousculées : alors qu’on se bat sur les crêtes de Phalsbourg, les sous-groupements Rouvillois, Massu, Cantarel, Putz et Debray, parvenus en Alsace, se disputent-ils l’honneur d’arriver en tête à Strasbourg? Rouvillois, commandant le 12e régiment de cuirassiers, arrive le premier le 23 novembre. Leclerc rédige la proclamation aux habitants de Strasbourg, qui rappelle que trois ans et huit mois après Koufra, le serment est tenu. Sous les dorures du Kaiserpalast, Leclerc dit : " Hein mon vieux Dio ! On y est cette fois ! Maintenant on peut tous crever ! ". Le père Houchet, le maréchal des Logis Zimmer et bien d’autres anonymes ont donné leur vie de la libération de l’Alsace.
La guerre n’est pourtant pas terminée, l’ennemi envoie des renforts et organise ce qui devient la poche de Colmar. L’hiver 44-45 est particulièrement difficile pour les hommes, c’est la neige et le feu. Entre la Noël et le Jour de l’an, la contre-offensive allemande des Ardennes oblige le commandement allié à envoyer la 2e DB au nord des Vosges.
Strasbourg est alors gravement menacé. Dans la seconde quinzaine de janvier, la 2e DB revient en plaine et sous le commandement de la 1re armée livre de durs combats dans des conditions climatiques extrêmes avec en point d’orgue les combats de Grussenheim le 28 janvier où s’illustre le sous-groupement de Putz qui tombe peu après. Colmar libéré, la 2e DB est envoyée au repos à Châteauroux tandis qu’une partie de ses effectifs sous les ordres du général de Langlade participe à la réduction de la poche de Royan. Leclerc reçoit sa quatrième étoile et consent à la porter immédiatement parce que " nous la devons à la Division ".
À la mi-avril, Leclerc obtient du commandement américain la participation de sa division aux opérations en Allemagne. La 2e DB pénètre le 4 mai au soir dans Berchtesgaden. Le drapeau français est hissé sur la demeure favorite d’Hitler au Berghof.
L’épopée de la 2e DB se termine dans ce lieu symbolique. La division, regroupée non loin de Dachau, découvre l’horreur des camps de concentration et participe à l’aide aux déportés. Girard, en rendant compte dans son journal de marche, écrit : " Rien n’approche cette abomination. Il faut que le monde sache et n’oublie jamais. "
Le bilan de la campagne d’août 1944 à mai 1945 est de 1 687 tués et 3 300 blessés. Cette division au parcours extraordinaire et exceptionnel compte 155 compagnons de la Libération et quatre régiments (le régiment de marche du Tchad, le 1er régiment de marche de Spahis marocains, le 3e régiment d’artillerie coloniale et le 501e régiment de chars de combat).
La guerre n’est pas finie en Extrême-Orient. Leclerc y est nommé chef du corps expéditionnaire français pour rétablir la souveraineté française en Indochine. Il confie la 2e DB au colonel Dio lors d’une cérémonie émouvante à Fontainebleau le 22 juin : " Quand vous sentirez votre énergie fléchir, rappelez-vous Koufra, Alençon, Paris, Strasbourg. Retrouvez vos camarades, recherchez vos chefs, et continuez en répandant dans le pays le patriotisme qui a fait notre force. " Beaucoup d’entre eux, volontaires pour la durée de la guerre retournent à la vie civile avec la fin des hostilités à l’Ouest, mais d’autres, hommes et femmes, se rengagent pour l’Indochine et décident de suivre leur chef, enfin les militaires poursuivent leur carrière.
Les bombardements atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, les 6 et 9 août, entraînent la capitulation japonaise, signée le 2 septembre 1945 par le général MacArthur, Leclerc représentant la France. Une autre mission attend donc Leclerc et ses hommes en Indochine.
La situation est complexe. Un mouvement national et révolutionnaire fort a émergé sous l’égide d’Hô Chi Minh, qui a proclamé le 2 septembre la République démocratique du Vietnam affirmant sa volonté d’indépendance. Les Alliés à la conférence de Potsdam (17 juillet-2 août) ont attribué deux zones d’occupation : l’une au nord aux Chinois et l’une au sud aux Anglais pour assurer le désarmement des troupes japonaises. Leclerc est dès lors convaincu que l’action diplomatique et politique doit être intégrée dans son plan de manœuvre.
Une autre mission attend donc Leclerc et ses hommes
À partir d’octobre 1945, le corps expéditionnaire français effectue les opérations de rétablissement de l’ordre et de l’autorité française. Le 6 mars 1946, les hommes de Leclerc prennent pied au Tonkin au moment où sont signés les accords reconnaissant la présence française sur le territoire du Vietnam libre et précisant les modalités du départ des Chinois. Mais Leclerc est sous l’autorité de l’amiral Thierry d’Argenlieu haut-commissaire et commandant en chef des forces françaises en Indochine qui mise sur la division des nationalistes et soutient au sud de l’Indochine le gouvernement du docteur Thinh, favorable à la France. Leclerc se différencie de ses contemporains, car il est intimement convaincu qu’il est indispensable de « traiter à tout prix » dans l’intérêt de la France. Ses divergences avec d’Argenlieu l’amènent à demander une autre affectation.
En juillet 1946, il est nommé inspecteur des forces françaises en Afrique du Nord, affectation interrompue par une mission que lui confie Léon Blum en Indochine. Son action en Afrique du Nord est faite d’inspections en Algérie, en Tunisie et au Maroc. Il a su s’entourer de fidèles, Valence, Vézinet, Fieschi qui l’aident dans sa mission. Fort de ses connaissances en langue arabe et de son expérience précédente au Maroc (1928-1930), il va de village en village pour resserrer les liens. Il est bien conscient de l’évolution consécutive à la Seconde Guerre mondiale. Son action est tragiquement interrompue dans l’accident d’avion du 28 novembre 1947. Il est fait maréchal à titre posthume en 1952.
La légende de Leclerc se met en place pendant son épopée, et ses hommes y ont aussi contribué. Ensemble, ils ont incarné la liberté, la volonté et la France libre. L’action de Leclerc a offert tous les éléments pour qu’il devienne un « soldat de légende » et qu’il figure, c’est le seul exemple de l’histoire de France, dès 1948, dans 63 numéros de Tintin, le journal de tous les jeunes et de tous les amis des jeunes et dans Bayard.
>Premier numéro de Tintin, 28 octobre 1948 © Editions le Lombard (Dargaud-Lombard sa) 2001, Le Rallic
Les hommes de Leclerc ont connu des destins divers : ministre, biologiste et prix Nobel, diplomates, patron d’entreprise, cadres de l’industrie, généraux, prêtres ou salariés. Tous sont restés unis et solidaires parce qu’ils sont les « gars de Leclerc » et que le général Leclerc a su leur insuffler durablement un état d’esprit dans la tradition de son épopée.
>Couverture de l’ouvrage paru chez Rouge et Or. (d.r.)
texte de Christine Levisse-Touzé Directeur du Mémorial Leclerc et de La Libération de Paris et du Musée Jean Moulin (Ville de Paris), Directeur de recherche associé à Montpellier III.
Bibliographie
• Général Jean Compagnon, Leclerc maréchal de France, Flammarion, 1994.
• Général Vézinet, Le général Leclerc, France-Empire, 1997.
• Général Duplay, 2e DB avec Leclerc de Douala à Berchtesgaden, Éric Baschet, 1980.
• André Martel, Leclerc, le soldat, le politique, Albin Michel,1998.
• Christine Levisse-Touzé (sous la direction de), Du capitaine de Hauteclocque au général Leclerc, Éditions Complexe, 2000.
" Le général Leclerc est trop grand pour avoir besoin d’être idéalisé " précise le général Vézinet, un de ses proches. Il traduit là le sentiment unanime des hommes qui ont servi sous ses ordres et dont la vie a été durablement influencée par ce grand homme. Cette exposition montre comment le capitaine de Hauteclocque, devenu Leclerc en s’engageant aux côtés du général de Gaulle dans l’aventure de la France libre, a pu susciter les ralliements, fédérer et galvaniser les énergies. Elle s’interroge sur les destins de ceux qui l’ont rallié dès le Cameroun, le Tchad ou au Maroc et qui ont été à ses côtés jusqu’en Indochine. Koufra, Alençon, Paris, Strasbourg, le Berghof, nid d’aigle d’Hitler sont autant d’étapes d’un parcours exceptionnel. Dès la libération de la capitale, Leclerc entre dans la légende : en juin 1940, le capitaine de Hauteclocque, alors inconnu et traqué, quitte Paris ; quatre ans plus tard, auréolé de ses victoires, il revient en libérateur, il n’a alors que 42 ans. Cette épopée est due aussi aux hommes qui combattent sous son commandement. Leur dévouement tient au charisme de Leclerc et à son humanité. En effet, une constante l’a animé durant ses campagnes : étudier systématiquement la manœuvre la moins coûteuse en pertes humaines. Ce lien indéfectible avec le général Leclerc s’est pérennisé au-delà de sa mort accidentelle le 28 novembre 1947 grâce à l’union des Anciens au sein de leurs associations : la Fondation Maréchal Leclerc de Hauteclocque et l’Association des Anciens de la 2e DB.
A chacune et à chacun, je souhaite une très bonne exposition. "
Bertrand Delanoë, Maire de Paris.