M.L.
- Pierre Crosnier, vous êtes
aujourd'hui président de la 2e D.B.
en Loire-Atlantique. En juin 1940,
à 18 ans, vous décidez de partir à
Londres pour combattre aux côtés des
Forces Françaises Libres. C'est le
début d'un long périple qui, au sein
d'une prestigieuse unité blindée,
vous conduira, en 1945, jusqu'à Berchtesgarden.
Que se passe-t-il dans la tête d'un
gamin de 18 ans pour prendre une telle
décision?
Pierre
Crosnier - J'ai été élevé
par mon grand-père maternel, commandant,
écuyer du Cadre Noir à Saumur, qui
m'a imprégné du sens du devoir et
de l'amour de la Patrie. Tout naturellement,
en juin 1940, n'ayant pas la possibilité
de combattre l'envahisseur sur mon
sol, je me suis dirigé vers celui
où la lutte continuait.
M.L.
- Combattre aux côtés du Général Leclerc
paraît, avec le recul, comme un mythe
d'une épopée glorieuse appartenant
à l'histoire. Au quotidien, comment
avez-vous vécu cette aventure? Et
Quel sentiment vous inspirait ce personnage?
Pierre
Crosnier - A la 2e D.F.L.,
devenue en août 1943 la 2e D.B., nous
ne mesurions absolument pas l'impact
historique de notre Chef. Nous ne
nous doutions pas alors que notre
division, "acceptée" par les Américains,
sur l'insistance répétée du Général
de Gaulle, afin que la France fut
présente dans le débarquement de Normandie,
aurait le parcours qui a été le sien
par l'épanouissement des qualités
manoeuvrières du Général Leclerc.
Nous
avons tous été frappés par le témoignage
de Foi religieuse et les qualités
d'homme du Général et surtout par
son regard qui à la fois vous glaçait
et était irrésistible. Bien que trop
tôt disparu en novembre 1947, les
anciens de sa division sont toujours
unis, 55 ans après, dans le souvenir
de sa mémoire.
M.L.
- Quelles leçons tirez-vous de ces
6 ans de guerre?
Pierre
Crosnier - Ces 6 ans de guerre
et ces 60 millions de morts civils
et militaires sont la conséquence
de la désunion et de la veulerie des
démocraties. J'ai toujours à l'esprit
ce qu'écrivait mon grand-père en 1933
et qui disait : " la passivité des
démocraties devant l'arrogance et
la désobéissance se paiera un jour
par des flots de sang". Si à coup
de fusils, si nécessaire, on avait
alors refoulé Hitler de la Rhur et
l'avions désarmé, avec peut-être quelques
milliers de morts, nous n'aurions
pas subi cette horrible hécatombe.
Ceci prouve que la désunion et le
pacifisme sont la "Mère" de tous les
maux.
M.L.
- Une légion d'Honneur, la médaille
militaire, la croix de guerre et quelques
autres médailles vous ont été décernées.
Est-ce un prix honnête pour 5 ans
de jeunesse sacrifiée?
Pierre
Crosnier - Je suis bien sûr
très fier de ces décorations. Mais
ce n'est pas une fin en soi. Pour
être "cité", il faut faire "un coup
d'éclat", s'en sortir et avoir été
vu par un supérieur. Ce qui suppose
pas mal de chance.
M.L.
- La notion de Patrie n'est-elle pas,
à l'heure de l'Europe, une notion
dépassée?
Pierre
Crosnier - Non, elle est
plus que jamais d'actualité. La Patrie
est une entité morale et physique
qui crée le sens du devoir et le cas
échéant le sens du sacrifice si elle
est en danger. Quelle magnifique perspective
pour des jeunes qui à l'heure actuelle
ne savent pas d'où ils viennent et
où ils vont. La jeunesse a besoin
pour s'épanouir d'un BUT élevé
et d'une motivation à l'effort. L'idée
de Patrie comprend ces éléments et
est un levier puissant pour donner
une perspective valable à une vie
de jeune.
M.L.
- Et si c'était à refaire?
Pierre
Crosnier - Si c'était à refaire,
je ne changerai pas un iota à ce que
j'ai fait. Je recommencerai tout car
je n'ai à regretter aucun de mes actes,
en tant que Chrétien et Français.
M.L.
- Vous avez écrit et publié, pour
vos enfants et petits-enfants, "Les
pérégrinations d'un jeune Français
- 1940-45", quelle importance
attachez-vous à ce témoignage?
Pierre
Crosnier - Mon père, officier
de Marine, a eu une très belle conduite
en 1914-18 et dans le cadre de la
France Libre, lors de la 2e guerre
mondiale, il a fait partie de réseaux
de Résistance. Il a été déporté par
les Allemands en 1943 et est revenu
très éprouvé physiquement. Il est
décédé en 1960. Il n'a rien écrit
. Nous ne savons pas le dixième
de ce qui a motivé son engagement
ni à quoi correspondent les nombreux
témoignages de remerciements qui lui
furent adressés par le Général Eisenhower,
Winston Churchill et le Général de
Gaulle. Mes enfants m'ont dit :"ne
fais pas comme grand-père", écris
ta guerre"...J'ai obtempéré.
M.L.
- Pierre Crosnier, je vous remercie
pour votre témoignage.