Jacques Dejouy: un sapeur dans la 2e DB

Entrevue entre Jacques Dejouy, ancien de la 2ème DB et Jean-Pascal Furet. Réalisée lors de la prise d'arme du 1er juillet 1999 au 13ème Régiment du Génie d'Epernay.

Jean-Pascal Furet - Monsieur Dejouy, bonjour, je vous remercie d'avoir bien voulu répondre à mes questions mais tout d'abord je vous laisse vous présenter.. 

Jacques Dejouy - Et bien je suis Jacques Dejouy, (ndlr : rédacteur au bulletin de l'amicale des anciens du 13 "SAP 13") j'étais un petit garçon de 12 ans en 1939 quand mon père est parti à la guerre. Et par le truchement de la résistance, puis d'un maquis en Normandie, je me suis retrouvé à la 2ème DB en août 1944. Ensuite J'ai eu la chance de faire partie du détachement Dronne qui est entré le premier dans Paris, alors que je n'avais pas 15 jours de service ! Ma guerre s'est terminée le 18 Novembre 1944 devant Strasbourg à Badonvillers si bien Qu'avant 18 ans j'étais déjà ancien combattant !

JPF - On parle beaucoup de "l'esprit Leclerc". Mais pour vous comment cela se concrétise-il exactement?

JD - En Fait la 2ème DB n'est comparable à aucune autre. Non pas que nous nous prenions pour des surhommes car nos camarades de la 1ère Armée ont autant souffert que nous. D'ailleurs on ne peut mesurer l'heroisme, la souffrance. Ce qui est certain c'est que nous avons été marqués par la Providence, celle de Leclerc, ce qui nous a fait vivre une véritable chanson de geste, une épopée fantastique celle d'un petit capitaine qui va voir à Londres un général à titre temporaire qui lui dit : "Prenez moi l'Afrique"...et c'est fou...Koufra fut la 1ère victoire française avec des troupes françaises et un commandement français lui aussi. Puis ce ne sont que des victoires il n'y a pas eu une seule défaite... Leclerc disait : "Ma plus belle victoire c'est la 2ème DB". Car Leclerc a créé cette division avec des catholiques, des juifs, des musulmans et surtout avec des Français libres et des gens de l'armée d'Afrique qui eux avaient servit pour Vichy et en quelques semaines il n'y avait plus que la 2ème DB.

JPF - Quel est à votre avis le rôle que les anciens de la D.B. doivent jouer dans notre société? Y ont-ils encore leur place et pourquoi? 

JD - Plus que jamais ! Plus que jamais...J'ai fait une tentative voilà 3-4 ans en organisant "les Camps Leclerc" avec des anciens et des jeunes aussi bien militaires que civils. On se crevait en faisant de la haute montagne et le soir on parlait de l'épopée. Chaque équipe préparait une partie de la veillée sur un thème et nous devions restituer le contexte historique du moment, les événements militaires. Pour enfin en tirer des enseignements applicables aujourd'hui. Je pense qu'il faut associer à la fois les civils, les militaires, les étudiants à ce devoir de souvenir... 

JPF -Y avait-il beaucoup de jeune comme vous? 

JD - Que ce soit dans les combats d'Afrique ou pendant la Campagne de France, il y avait un certain nombre de jeunes qui avaient juste 17 ans, voir moins. Hubert, l'un des fils du maréchal s'est engagé lui aussi à 17 ans. J'essaie d'ailleurs de regrouper les "petits jeunes", car à 70 ans nous sommes encore les "petits jeunes". Nos aînés, les survivants bien sûr, ont plus de 80 ans maintenant.

JPF - Dans quelle condition s'engageait-on dans la 2ème DB?

JD - Il y avait beaucoup de gens qui venaient de France après avoir traversé l'Espagne, après s'être évadé de camp de prisonniers. Certains quittaient leurs unités pour avoir le droit de se faire tuer dans la DB ! Mais à la base de la 2ème DB il y avait une sélection à l'engagement car pour monter la DB Leclerc avait besoin de gens particulièrement compétents. 

JPF - Que ressentez vous lors de cérémonies comme celles-ci? 

JD - Nous pensons bien sûr au passé, car nous sommes des anciens, cela nous rappelle des souvenirs mais cela nous fait surtout penser à l'avenir, à nos enfants, petits-enfants. Leclerc avait écrit à de Gaulle en 1944 "la 2ème DB n'est pas comme toutes les autres elle ressemble d'avantage à une croisade qu'à une armée combattante".

JPF - Et si c'était à refaire?

JD - Lorsqu'on s'engage ce n'est pas pour jouer au Cow-boy, ni pour l'aventure. C'est parce-que nous étions devant le fait accompli : " l'Allemand" était chez nous. A partir de ce moment là on ne rentre plus dans des considérations pacifistes. Ils étaient là il fallait qu'ils "foutent le camp". Et puis c'est tout. Si un jour on se retrouvait dans cette situation...oui et même très vieux je reprendrais les armes s'il le fallait. Je verrais partir mes petits-enfants avec tristesse mais jamais je ne leur dirai de se planquer et d'attendre que cela se passe.

JPF - A propos de camaraderie, lors des combats comment se caractérisait elle? 

JD - Personnellement ce qui m'a frappé lorsque je suis arrivé, petit jeune, c'est qu'il y avait de quoi scandaliser un vieil officier de l'armée traditionnelle : un deuxième Sapeur tutoyant son sergent, son sergent-chef. On se tutoyait, on ne nous demandait pas de claquer les talons, sauf bien sûr lors des prises d'armes où nous prenions un malin plaisir à être impeccables. Ce qui m'a surpris aussi c'est cette espèce de nonchalance, cet esprit bon enfant. Nous plaisantions énormément; il fallait rire bien sûr pour donner le change. La quille, les bins, étaient nos sujets de rigolade et même aujourd'hui lorsque l'on se retrouve on s'interpelle et on en plaisante encore !

JPF - L'entrée dans Paris?

JD - L'objectif bien sûr c'était l'entrée dans Paris, nous étions très inquiets, car nous savions que Paris était insurgée, donc on savait que si on n'y arrivait pas, si nous avions été déroutés, la répression aurait été terrible, avec la menace de voir Paris coupée en deux. De plus, beaucoup d'entre nous avions des attaches, j'avais vraiment hâte d'arriver dans Paris car nous étions sans nouvelles depuis des semaines. Et c'est ma section qui est arrivée la toute première dans Paris ! J' étais dans un half-track "le Volontaire", mais c'est la jeep de la 2ème section de la 3ème Compagnie du 13ème Génie qui est arrivée la première place de L'Hôtel de Ville, et c'est mon half-track qui était derrière. Nous sommes arrivés donc, avant Dronne qui était avec sa compagnie du RMT (Régiment de Marche du Tchad), empêtré dans la foule des Parisiens qui scandaient "LES ALLIES SONT DANS PARIS ! LES ALLIES SONT DANS PARIS !" Alors que nous n'étions que 200 bonshommes ! Les cloches ont sonné, les gens chantaient la Marseillaise. Tout le monde chantait à l'unisson. C'était formidable! 

JPF- Quel a été pour vous le fait le plus marquants de votre engagement aux cotés de Leclerc?

JD - Le fait le plus marquant? Eh bien je vais vous répondre : PARIS ! La foule en liesse. C'était fabuleux fantastique.. tellement fantastique que lorsque j'ai quitté Paris, on criait encore "vive Pétain". Et quand nous rentrions dans Paris je me disais :"Est-ce qu'on va se prendre des pierres dans la figure?" En définitive j'ai été très surpris de voir cette même foule crier " vive De Gaulle ". C'était merveilleux... de plus pendant plusieurs jours il y a eu une unanimité totale, les gens riaient tout le temps, c'était un sentiment très profond. 

JPF. - Jacques Dejouy, je vous remercie pour votre témoignage.

DEJOUY, Jacques, A me suivre tu passes !, Editions Muller, Paris, 2002

DEJOUY, Jacques, A me suivre tu passes !, Editions Muller, Paris, 2002


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